Madame Monique Loustau, qui résidait dans la magnifique maison située face à la source, rue de la Fontaine, a très gentiment accepté de conter l’histoire de cette très ancienne demeure, d’un style très particulier lors d’une parution d’ « Esmans Info » n° 25 de juin 1991.
Nous remercions très chaleureusement toute sa famille et notamment Vincent qui nous autorise aujourd’hui, à publier ce témoignage.
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Histoire de notre maison d’Esmans …
Comme le font tous les enfants, petite fille, je demandais à ma grand mère Marguerite Paturel de me parler de sa jeunesse et j’aimais qu’elle me raconte l’histoire de cette maison où nous passions d’heureuses vacances et qu’on appelait alors « Le Château ».
C’est son père Jean-Jacques Castel, charpentier de son métier, qui la fit construire en 1885. Ma grand-mère posa la première pierre, dite «pierre d’angle », elle avait alors 15 ans, elle se souvenait parfaitement de ce geste émouvant.
Jean-Jacques Castel avait beaucoup voyagé en Italie et il s’inspira du style italien de l’époque pour cette maison qu’il voulait grande car il pensait à de nombreux petits enfants qu’il rêvait de voir autour de lui. Ce goût pour les maisons italiennes explique les motifs en pierres différentes et de couleur, la terrasse soutenue par deux colonnes aujourd’hui disparues par vétusté et les sols en petites mosaïques.
Il a acheté des terrains petit à petit, pour en faire une propriété avec bois, verger, champs où il fit un élevage de moutons qui, à la mauvaise saison, étaient rentrés dans les bergeries qu’il fit construire sur la route de Montmachoux.
Il fit inscrire les initiales C.D. au fronton de la maison qui signifient Castel-Dutilleul, Dutilleul étant le nom d’origine de sa femme et il eut cette idée originale d’y mettre aussi les deux têtes en pierre de ses chiens, Médor et Zoulou !
Ce grand père Castel était si heureux à Esmans qu’il composa de nombreux poèmes sur la nature, le printemps et la ville d’Esmans qu’il aimait profondément.
Pourtant ses origines n’étaient pas « esmansoises » ; c’est sa femme Virginie Dutilleul qui était une grande amie d’une aïeule de la famille Taveau, nommée « Babette », je crois, et c’est donc par elle qu’il connut Esmans.
Depuis, cinq générations se sont succédées, chacune laissant sa trace dans la maison ou le jardin, comme les cèdres qui représentent la naissance des enfants Paturel.
En 1914, ce sont des soldats du front qui ont été accueillis dans cette maison pour s’y reposer.
En 1940, à la seconde guerre mondiale, la maison fût réquisitionnée et occupée par des autorités Allemandes qui brûlèrent une partie des meubles dans les cheminées pour se chauffer.
En 1944, lors de la dure bataille qui eut lieu à Montereau, des gens vinrent demander asile pour fuir le danger. Je me souviens que nous descendions dans les bergeries lors des bombardements et sachant la victoire proche, nous préparions des drapeaux bleu, blanc, rouge.
Lorsque le premier tank arriva par la route de Montmachoux, nous nous précipitâmes pour applaudir par dessus le grand mur, mais était-ce un tank allemand ou américain qui braquait sa tourelle dans notre direction ? Un moment de peur et de doute fut vite dissipé et quelques heures plus tard, des soldats américains demandaient à être hébergés et c’est ce jour là, qu’avec mes sœurs et mes cousins, nous avons goûté pour la première fois du «chewing gum » !
Succédant à ma grand-mère Paturel décédée, c’est ma mère Mme Brun et ses enfants qui reprirent la maison car, même vétuste, elle représente une sorte de paradis pour nos familles parisiennes fatiguées par le bruit, les néons, le métro…
Ma mère voulait que cette maison et son parc restent dans la tradition de l’accueil. C’est pourquoi l’été, des scouts, des guides et des enfants du centre aéré sont venus souvent planter leurs tentes et faire des veillées auprès de grands feux et découvrir le village d’Esmans, sa belle église, sa vieille et belle ferme fortifiée et les sympathiques habitants d’Esmans toujours indulgents pour ces enfants parfois bruyants !
Aujourd’hui, Madame Brun est décédée, et trois de ses enfants ont partagé « la propriété des enfants » et sont devenus grands parents à leur tour dont les enfants ont toujours le même amour pour la terre d’Esmans.
Car lorsqu’on est parisien, on n’est de nulle part… et le besoin de chaque homme sur cette terre est de sentir qu’il a des racines quelque part. En regardant les vieilles cartes postales représentant « le Château » nos petits enfants nous ont demandé :
« Pourquoi la maison d’Esmans est-elle appelée Le Château ? ». En effet pourquoi ? Elle n’a ni tour, ni tourelle, ni donjon… Peut-être parce qu’elle est située sur une hauteur, peut-être parce qu’elle est grande, et différente des autres maisons du village ?
En tout cas, lorsqu’ils en parlent c’est «la maison d’Esmans » avec tout ce qu’une maison de famille peut contenir de souvenir, de bonheur, d’histoires du passé et d’attachement à un beau village.
Monique Loustau